Les sanctions en cas de refus de l’employeur
En dehors de l'article L. 2315-86, le refus par l’employeur de permettre au CSE de mandater un expert-comptable dans le cadre des consultations légales constitue une violation du Code du travail (refuser de le mettre à l'ordre du jour, empêcher le vote en séance, obliger le vote d'un expert-comptable proposé par l'employeur...).
Ce refus est assimilé à un délit d’entrave au fonctionnement régulier du CSE. Il est aussi possible de saisir le tribunal judiciaire.
Le délit d’entrave : une infraction pénale
L’article L. 2317-1 du Code du travail punit toute entrave au fonctionnement du CSE, qu’elle soit directe (refus explicite) ou indirecte (retard, limitation, contestation abusive).
⚖️ “Le fait d'apporter une entrave à la constitution du comité social et économique, à la libre désignation de ses membres, à son fonctionnement régulier ou à l'exercice de ses attributions est puni d'une amende de 7 500 euros.”
Concrètement :
Refuser la désignation d’un expert-comptable, ignorer une délibération du CSE ou refuser la transmission des informations nécessaires à la consultation peut entraîner :
A noter : la jurisprudence est claire, l'employeur ou son représentant n'a pas à participer au vote.
Autre point de contestation des élus : est-ce que la BDESE est complète et à jour ?
Ne vous laissez pas dicter votre conduite par des dirigeants qui ne veulent pas d’un expert-comptable mandaté par le CSE… de toute façon, ils trouveront toutes les justifications pour vous décourager.
Recours du CSE : le tribunal judiciaire
Le CSE dispose d’un recours spécifique : il peut saisir le tribunal judiciaire en procédure accélérée.
Ce tribunal est compétent pour :
-
ordonner à l’employeur de respecter la décision du CSE
-
autoriser ou confirmer la mission de l’expert-comptable,
-
et, le cas échéant, sanctionner le refus de la direction.
Ne pas oublier : l’employeur ne peut pas bloquer l’expertise, s'il n'est pas d'accord, il doit saisir le juge dans le cadre de l'article L. 2315-86.
En cas de manquement, la demande du CSE est prioritaire et le juge statue sous 10 jours.
Les fausses contestations de l’employeur : ce que disent vraiment la loi et les juges
Dans la pratique, beaucoup d’employeurs avancent des arguments infondés pour tenter de retarder ou de limiter l’expertise du CSE.
Ces arguments, pourtant déjà tranchés par la jurisprudence, visent à intimider les élus ou réduire la portée de la mission de l’expert-comptable.
Voici les principales fausses affirmations que les juges ont déjà écartées :
1. « L’expert-comptable ne peut pas remonter sur 3 ans » — Faux
La Cour de cassation a confirmé que l’expert du CSE peut analyser les données sur plusieurs exercices pour comprendre l’évolution et établir des comparaisons utiles.
📚 Cass. soc., 1er juin 2023, n°21-23.393 : l’employeur ne peut limiter l’analyse à un seul exercice ; la Cour de cassation rappelle que l’article R. 2312-10 du code du travail prévoit que les informations figurant dans la Base de données économiques et sociales portent sur l’année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu’elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes.
En pratique : il est légitime de remonter sur 3 ans pour analyser les tendances financières, sociales et stratégiques.
2. « L’expert-comptable ne peut pas demander les documents prévisionnels » — Faux
L’expert peut consulter tous les éléments utiles, y compris les prévisions et budgets à venir.
📚 Article L. 2312-25 du Code du travail : "les informations sur l'activité et sur la situation économique et financière de l'entreprise ainsi que sur ses perspectives pour l'année à venir".
En pratique : l’analyse prévisionnelle fait partie intégrante de la consultation sur la situation économique et financière.
3. « L’expert-comptable ne peut pas demander les comptes de la société mère » — Faux
Si l’entreprise appartient à un groupe, les comptes consolidés ou ceux de la société mère doivent être communiqués dès lors qu’ils influencent la situation de la filiale.
📚 Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12754 et Cass. soc., 27 nov. 2001, n° 99-21903 : Ces arrêts (il en existe d'autres) renforcent le rôle de l’expert‐comptable désigné par le comité : celui‐ci dispose d’un pouvoir large pour demander la communication de documents, y compris ceux établis par d’autres entités du groupe, si ceux‐ci paraissent nécessaires à sa mission.
En pratique : la situation du groupe impacte directement les décisions locales, donc l’accès à ces données est un droit.
4. « L’expert-comptable ne peut pas demander les comptes des filiales sœurs » — Faux
Les juges ont admis que les comptes des filiales du même groupe peuvent être utiles pour comprendre la répartition des activités, marges ou flux financiers.
📚 Cass. soc., 5 mars 2008, n° 07-12754 et Cass. soc., 27 nov. 2001, n° 99-21903
En pratique : l’expert peut exiger les comptes consolidés ou les éléments de comparaison entre entités du groupe.
5. « L’expert-comptable n’a pas accès à la base de données sociale » — Faux
L’expert-comptable du CSE dispose des mêmes droits d’accès à la BDESE que les élus (article L. 2312-18).
Il peut y consulter les indicateurs sociaux, égalité, emploi, formation, rémunérations…
📚 Article R. 2312-5 et s. du Code du travail : la BDESE contient l’ensemble des données servant aux trois consultations obligatoires, donc à la mission de l’expert.
En pratique : refuser cet accès est une entrave au droit d’expertise.
6. « L’expert a 15 jours pour écrire son rapport » — Faux
Aucune durée précise n’est fixée par la loi.
Le délai global de la consultation est de 2 mois (articles R. 2312-6 et L. 2312-15), mais il peut dépendre aussi de la date de transmission complète des informations par la direction.
📚 L'article R. 2315-47 prévoit que l'expert-comptable a 1,5 mois pour rédiger son rapport.
En pratique : les 15 jours sont un mythe ; le délai se compte à partir de la mise à disposition réelle des documents.
7. « Pas besoin de rapport écrit : ça fera baisser les honoraires » — Faux et dangereux
Le rapport écrit de l’expert est obligatoire : il matérialise l’analyse indépendante et fonde l’avis du CSE.
Sans rapport, l’expertise est juridiquement incomplète et l’avis du comité peut être contesté.
📚 Article L. 2315-85 et R. 2315-47 : le CSE doit recevoir un rapport.
En pratique : une simple présentation orale ou simplifiée met en risque la légalité de la consultation.
8. « Nous ne faisons pas d’orientations stratégiques à 3 ans » — Faux (même pour les sociétés cotées)
La consultation sur les orientations stratégiques (article L. 2312-24) s’appuie justement sur une projection à 3 ans.
Même si la direction n’a pas formalisé de plan écrit, elle doit présenter les éléments permettant cette discussion.
📚 Le défaut de transmission d’informations stratégiques constitue une entrave à la consultation.
En pratique : aucune entreprise ne peut se soustraire à cette obligation. De plus, toutes les sociétés cotées communiquent sur les orientations stratégiques.
Important pour le CSE : sécuriser la désignation pour éviter les contestations
Pour éviter toute remise en cause de la désignation de l’expert-comptable, le CSE doit :
-
Inscrire la désignation à l’ordre du jour de la réunion (ordinaire ou extraordinaire).
-
Procéder à un vote formel à la majorité des membres présents (l'employeur ne vote pas).
-
Rédiger deux délibérations claires mentionnant :
-
la mission (“expertise dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière”) / vote à la majorité du CSE
-
Soxia : le nom du cabinet qui va réaliser l'intervention / vote à la majorité du CSE
-
Inscrire la décision dans le PV de réunion du CSE
-
Réalisez un cahier des charges avec l'expert-comptable avec le coût prévisionnel, l'étendue et la durée d'expertise (L. 2315-81-1).
Important : ne réaliser qu'un seul vote rend la nomination contestable au tribunal.
Ce formalisme protège le CSE : une désignation régulière ne peut pas être bloquée par la direction, sauf dans les cas prévus à l’article L. 2315-86.